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Entretien avec Malika Domrane

“ Malgré mon âge, je couve une âme d'enfant
 
 
Elle est à la fois rebelle, affectueuse, humaine et altruiste, la belle chanteuse Malika Domrane ne sait pas mâcher ses mots aussi bien dans sa chanson que dans la vie de tous les jours. Elle a courageusement chanté des sujets tabous qui fâch(ai)ent au plus fort des années où phallocratie ambiante n’accordait à la gent féminine que le seul droit de se taire.  
Malika qui est née pour vivre et chanter dans son pays, se retrouve subitement, dans le début des années 90, pour des raisons qu’elle nous explique dans cet entretien, astreinte de quitter douloureusement aussi bien la scène artistique que l’Algérie. A la fin de ces années noires, périodes de sécheresse artistique nationale, l’assassinat de l’un de ses amis, Lounes Matoub en l’occurrence, est venu remuer davantage le couteau dans la plaie. Ce tragique événement l’a tant affectée qu’elle en parle à tout bout de champs.  
Après une bonne dizaine d’années d’absence qui a fait penser à plus d’un le pire (voir LNC n° 307), l’auteur de “ Ay asaru ” réapparaît dernièrement à Montréal où elle enflamme une salle pleine à craquer. La fête fut complète comme au bon vieux temps. Ensuite, son triomphal retour en Algérie, ses spectacles magiques à Saint Etienne, Rome. Domrane s’est rendue compte que sa popularité demeure intacte et qu’elle est présente dans les cœurs d’innombrables personnes. Du baume au cœur de cette femme légendaire.  
Elle a aimablement accepté de répondre à nos questions.  
Tantôt on vous voit avec un chapeau cow-boy, jean et santiags, tantôt avec une robe kabyle, qui est donc Malika Domrane ?  
Malika Domrane : C'est les deux à la fois : selon les situations, je peux être l'une comme je peux être l'autre. Il m'arrive d'être gentille, douce, agréable, conciliante comme peut être la femme kabyle en générale car n'oubliez pas que je suis aussi une mère de famille qui tient à ce que mes enfants puisent leur éducation dans nos traditions et nos racines. Il m'arrive aussi d'intervenir de manière musclée avec ma grosse voix, pour faire la paix et tenter de régler certains litiges, car je suis peinée de voir l'injustice sévir, en particulier en Kabylie. C'est cela Malika Domrane ou on aime ou on n'aime pas, je ne fonctionne pas avec des artifices encore moins le mensonge, ce dernier ne fait pas bon ménage avec moi. 
 
En 1994, vous avez dû, sous menaces, quitter le pays et la scène artistique, parlez-nous comment avez-vous vécu cette période ? 
Ma vie, ma triste vie, je l'ai mal vécue ces dernières années, quel gâchis ! J'ai broyé du noir, j'ai fait la traversée du désert et fais mon chemin de croix. J'ai fait mes adieux à ma chère Kabylie le 19 septembre1994 en laissant derrière moi mes enfants en bas âge, mon mari, ma mère, ma maison, mes amis et tout ce que j'ai construit de longue haleine, mon viatique se résumait à une angoisse atroce qui me tenaillait les entrailles ; j'avais le choix de mourir ou partir et mourir à petit feu loin en terre étrangère. Donc j'ai opté pour l'exil… Le déclic s'est enclenché dans ma tête, pour la première fois de ma vie j'ai pesé et compris illico presto "sauves qui peut" un chapelet de souvenirs me revient en mémoire et hop j'ai senti l'urgence d'un départ précipité. Tout peut me tromper mais mon sixième sens ne m'a jamais trompée et je lui dois la vie aujourd’hui ; je te parais incohérente et parano, hélas, la vérité émergera un jour et éclaboussera sur son passage beaucoup de traîtres. J'ai fui pas par peur de mourir, mais celle d'être déshonorée … je m'arrête stop ces cauchemars. Bois un café à ma santé et à notre amitié !  
Après le succès de votre spectacle à Alger et votre court séjour en Algérie, quel est votre sentiment depuis votre retour à Paris ?  
Je déprime depuis mon retour en France et n'arrive pas à accepter la triste réalité. Tout devient lugubre autour de moi et ne me sens aucune complicité avec mes amies et ils le ressentent ; ma douleur s'est ravivée comme dans les premiers temps de mon exil. Rien ne me lie à ce pays, par contre je me suis sentie dans mon élément en Algérie comme si je ne l'ai jamais quittée. Je suis triste à en mourir et j'ai perdu le sens de l'humour ; mon entourage n'est pas dupe et fait tout pour me consoler. Tu m'as parlé de mon spectacle à Alger, mais bien sûr, ils ont tous lu les journaux et ont suivi de près l'événement, les nouvelles vont vite. Toutefois, cela m'est complètement indifférent car ils ne sont pas réellement mon public, ils ne sont présents que quand tu flattes leur ego ; là où sont leurs intérêts sinon ils t'abandonnent comme une vieille chaussette.  
Revenons à votre concert à Rome …  
Tout est incohérent, je vais me répéter et t'expliquer : le spectacle a été super dans un théâtre où le public est composé d'Italiens dont un kabyle, tous des gens cultivés d'un haut niveau intellectuel. Un interprète a traduit tout ce que je disais aussi bien que le contenu des chansons, et il a fait un historique sur nos ancêtres, notre histoire falsifiée, le printemps 80 et noir, etc. J'ai rendu hommage à leur journaliste libérée aussi bien que celle de Libération, j'ai parlée aussi du code de la famille, Taos Amrouche, Kahina, Fatma n'Soumeur. Je ne peux te relater en peu de mots, la magie du spectacle. C'est différent d'un lieu à un autre et l'émotion a été d'une grande intensité. Leur public m'a réclamée à deux reprises.  
 
Avez-vous visité comme prévu le tombeau de Jugurtha ? 
Justement … Passons au lendemain, au jour J où je devais me recueillir sur le tombeau de notre ancêtre, ignorante que je suis, je pensais le retrouver aisément. Hélas ! Personne n'a pu me renseigner, c'est immense et il faut une semaine pour explorer les lieux et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Chose qui t'étonnera, je le sentais et même ce qu'il a enduré. J'ai eu la même sensation de désespoir quand Matoub a été assassiné, ttrugh imettawen n tasa. J’arrête là, car c'est le couteau qui se retourne dans la plaie. Je reviens à Paris, terre d'exil, terriblement déçue ; je te jure que c'est vital pour moi pour me reconstruire, j'ai vraiment besoin de mes repères, pour les communiquer aux jeunes kabyles. Malgré mon âge, je couve une âme d'enfant qui sommeille en moi et c'est pour cette raison que je comprends la jeunesse.  
Une question peut-être incongrue : consultez-vous votre horoscope, du moins quand ça ne va pas !?  
(Rire) Non, je ne crois pas à l’astrologie car on ne peut pas établir le tempérament et le caractère d'une personne sans étude psychologique reconnue et valide scientifiquement. Je ne veux pas inculquer aux jeunes ces croyances futiles tout comme les talismans...  
Pour conclure, un mot sur Taos Amrouche ? 
C'est une grande cantatrice qui a du talent et qui a chanté les traditions kabyles ; je regrette qu'on ne la fasse découvrir en Algérie en particulier.  
Matoub ? 
C'était un grand artiste complet, un militant engagé tant pour la liberté que pour les revendications socioculturelles. On l'a assassiné jeune, pour moi, il n'est pas mort, il demeure toujours vivant du fait de ses œuvres immortelles ; c'est UN MYTHE ! 
La Kabylie ? 
Comme l'Algérie, c'est mon pays, j'y suis attachée et le serai toujours.  
Entretien réalisé par Karim Kherbouche 
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Modifié en dernier lieu le 22.10.2005
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